Madame Claude, film de Sylvie Verheyde retraçant l’incroyable histoire de la plus célèbre proxénète de France, sera sur Netflix le 2 avril prochain.
Deuxième film français à atterrir sur Netflix après Bronx, Madame Claude retrace l’histoire de la proxénète la plus célèbre de la Ve République. Née Fernande Grudet en 1923 à Angers, et morte Madame Claude en 2015 à Nice, cette femme qui a fasciné son époque en s’inventant une vie de grande bourgeoisie et de résistante déportée était à la tête d’un important réseau de prostitution qui comptait parmi ses clients les grands de ce monde, dont Marlon Brando, John F. Kennedy et le Shah d’Iran.
Avec Madame Claude, la réalisatrice Sylvie Verheyde veut “déconstruire le mythe” de la mère-maquerelle des années Pompidou-Giscard dans un biopic aux allures de polar politique qui “montre les coulisses” d’une époque encore trop souvent fantasmée et associée à l’image d’Epinal des films de Claude Sautet ou d’Yves Robert, bien que marquée par de multiples complots et assassinats politiques.
“Montrer la vraie Madame Claude”
“Les gens se souviennent surtout de la petite-bourgeoise de 70 ans qu’ils ont découvert à la télévision”, commente Sylvie Verheyde. “Comme c’était une très grande menteuse, elle s’inventait un personnage de bourgeoise, ce qu’elle n’était pas du tout. Mon propos, c’était de montrer la vraie Madame Claude. C’est une femme qui vient de peuple. Elle a été fille-mère à 15 ans. Elle a laissé son bébé à sa mère puis elle est montée à Paris où elle est devenue prostituée. Elle a ensuite monté son empire grâce à une invention nouvelle, le téléphone.”
Quelques années après le lancement du mouvement #MeToo, Sylvie Verheyde a vu dans cette histoire l’opportunité de raconter à travers les yeux d’une femme une histoire qui l’a souvent été par des hommes: “On a beaucoup de souvenirs de grandes figures de prostituées – mais toujours vues à travers le regard d’un homme”, précise la cinéaste, en citant Belle de Jour de Luis Buñuel et Boule de Suif de Maupassant.
“Elle représentait une forme d’ascension sociale”
Le récit s’ouvre en toute logique sur les yeux d’une femme. Ceux de Madame Claude, interprétée par Karole Rocher. Les femmes sont omniprésentes dans le film, et les rares hommes – tous joués par des têtes d’affiche, de Benjamin Biolay à Roschdy Zem – ne font que de brèves apparitions, et sont souvent représentés dissimulés derrière d’imposantes volutes de fumées ou de dos. Idem pour les clients, dont on ne voit jamais les visages. “C’est un monde de femmes dans le sens où il y a un secret à ne pas dire: les prostituées ne prennent pas de plaisir avec le client”, commente la réalisatrice.
Sylvie Verheyde, qui a déjà abordé le sujet de la prostitution dans son précédent film Sex Doll (2016), en a une connaissance intime. Sa cousine et sa grand-mère se sont prostituées et l’idée de Madame Claude lui a été inspiré par sa mère, gérante de bar et fascinée par ce personnage hors-norme. “Un jour, elle m’a dit qu’elle aurait bien aimé être Madame Claude. Ça m’a beaucoup étonnée. Je me suis demandé comment une femme comme elle pouvait s’identifier à Madame Claude. Pour ma mère, elle représentait une forme d’ascension sociale. C’est un modèle.”
“Comme dans Le Parrain ou Scarface”
Figure maternelle rassurante envers ses “filles”, Madame Claude était aussi une “psychopathe”, rappelle Sylvie Verheyde. Une ambivalence que retranscrit bien Karole Rocher dans sa prestation. Le film comporte son lot d’images et de scènes souvent insoutenables, où les femmes sont tabassées, humiliées lors de rencontres avec des clients sadiques, ou ses “amis” comme Madame Claude les appelait.
Une scène marquante montre une des “filles” envoyée dans une villa cossue où des hommes la pourchassent pour la violenter, avant de la libérer. Ce genre de passes était en réalité une manière pour Madame Claude de se venger de certaines de ses “filles” qui avaient trahi sa confiance. Et derrière les passes, il y avait toujours du business. À chaque fois qu’une de ses “filles” revenait, même amochée, les premières paroles qui sortaient de la bouche de la proxénète étaient: “t’as l’argent?”
“Les grands bandits, c’est le business avant tout”, précise la réalisatrice. “C’est comme dans Le Parrain ou Scarface. C’est ce qui m’intéressait avec ce film: on voit rarement des personnages de femmes aussi fascinants et cruels.”
“Je n’essayais pas de faire le film de Just Jaeckin”
Comment tourner ces scènes très crues à l’heure de #MeToo? “Il n’y a aucun fantasme. Il ne s’agissait pas d’érotiser les passes avec les clients. Ce n’était pas le propos”, assure la réalisatrice. “Tourner ces scènes était assez facile, bizarrement. Avec Karole, on se connaît. Avec Garance [Marillier, la star de Grave, qui incarne Sidonie, la protégée de Madame Claude, NDLR], on s’est hyper bien entendues tout de suite. Sur le tournage, c’était plus des scènes de déconnade. C’était évident entre nous toutes que je n’essayais pas de faire le film de Just Jaeckin.”

Sorti en 1977, ce film érotique avec Françoise Fabian dans le rôle de la proxénète est une œuvre de propagande. “Madame Claude était très forte en marketing”, précise Sylvie Verheyde. “Just Jaeckin, le réalisateur d’Emmanuelle, c’était parfait pour elle qui aimait entretenir son mythe et qui disait vouloir ‘rendre le vice joli’. Je crois même savoir qu’elle lui a envoyé des filles.” Interviewé récemment à ce sujet dans Le Monde, le réalisateur hollandais semble encore fasciné par cette figure du crime parisien. Tout comme Françoise Fabian. L’aura de Madame Claude subjugue toujours.
“Ce qui m’intéressait, c’était de voir à quel point il y a eu un chemin parcouru depuis de cette époque. On ne peut plus voir Madame Claude comme une héroïne”, renchérit la cinéaste. C’est le rôle dévolu à Garance Marillier, dont “le personnage, Sidonie, personnifie l’avancée des femmes, la jeune femme qui tout d’un coup va prendre la parole et porter plainte. Ce film, c’est l’affrontement de deux générations de femmes, entre Madame Claude qui a intégré que c’était normal de se faire violer, ou du moins de fermer sa gueule, et Sidonie, qui refuse.”